EDITORIAL par Christian GREGOIRE

Publié le par Le Syndicat des journalistes et écrivains

 

FILETS JAUNES

 

Il existe quelquefois des mouvements populaires qui surgissent sans qu’on les voie vraiment venir. Pris dans leurs obsessions gestionnaires et réformatrices,  les gouvernements se font alors piéger et ne se retrouvent qu’avec peu de marges de manœuvre pour s’en sortir. Dans notre pays, l’histoire fut scandée régulièrement par ces mouvements aux revendications multiples. Celui des gilets jaunes ne fait pas exception à la règle. Il est venu d’un mécontentement latent, qui a grondé de plus en plus, que l’on n’a d’abord pas écouté, et auquel on a laissé prendre de plus en plus de volume proportionnellement au mépris avec lequel on le traitait. Au point d’en arriver à une situation chaotique, avec des scènes parfois  insurrectionnelles, et qui semble assez inextricable.
Car pour s’en sortir, le gouvernement doit faire des concessions de taille, ce qu’il n’est sans doute pas près de faire, arc-bouté sur ses certitudes, sur son orgueil, et adossé aux arguments imparables du droit et de la loi républicaine.

Or, la république, ses instances, son organisation, et surtout ses représentants, c’est justement de ce défi- là dont il est question. Un défi mené sans objectif précis, juste quelques points généraux comme le pouvoir d‘achat ou la parole citoyenne. Car les gilets jaunes, mouvement protéiforme, en réalité ne constituent qu’un agglomérat d’individus qui se sont engagés sous la bannière de la colère et qui, bien que voulant les éviter, sont tombés dans les filets de la récupération médiatique, avec les différentes surenchères sur des réseaux sociaux qui se sont hélas substitués aux débats et aux échanges d’idées. Autant de gens, souvent centrés sur leurs problèmes individuels, qui se sont soudain réveillés de leur léthargie, eux qui n’étaient jusqu’alors guère politisés, et qui ne s’étaient pas beaucoup mobilisés derrière les syndicats, lorsque ceux-ci luttaient contre les différentes lois travail qui allaient accentuer la précarité sociale et salariale. Situation dans laquelle ils sont aujourd’hui.  De même qu’ils ont été bien timides à les soutenir lorsque certains alertaient sur le danger que constituaient les opérations de  de destruction programmée des services publics, et de désertification économique, surtout en secteur rural. Projets  dont ils voient désormais les conséquences néfastes dans nombre de territoires perdus de la nation.
A trop considérer que toute mobilisation politique et/ou syndicale cache des arrière-pensées, et doit être prise avec des pincettes, de même d’ailleurs que l’expression démocratique que constituent les différents scrutins, beaucoup de ces concitoyens sont aussi tombés dans les filets de l’indifférence, drôle de position intellectuelle qui ne sert jamais que les pouvoirs en place, qu’ils soient politiques, économiques ou financiers. Tout comme  ils sont pris d’ailleurs dans les filets consuméristes, dans des gestes quotidiens par exemple dont ils ne mesurent pas  les effets, et qui sont contradictoires avec ce qu’ils défendent, notamment quand ils  passent commande sur internet, auprès de sociétés de distribution internationales qui se moquent bien du droit du travail et ne paient surtout pas leurs impôts en France.

Malgré leurs attitudes parfois paradoxales, chacun d’entre nous peut tout à fait se retrouver dans les gilets jaunes, et dans leurs revendications, d’autant que pour une fois elles sont collectives, mais puisqu’ils en appellent à une meilleure  écoute démocratique, il serait peut-être à l’avenir plus profitable pour eux comme pour toute la collectivité nationale qu’ils représentent qu’ils sachent se mobiliser davantage en amont, lorsque se préparent des lois scélérates et dangereuses, et surtout, lors des consultations électorales, au lieu de préférer d’autres filets en choisissant plutôt d’aller à la pêche.

Christian GREGOIRE

Publié dans n° 360 - 1er tri 2019

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :