PRENDRE LA MER

Publié le par Le Syndicat des journalistes et écrivains

 

COURSE DU RHUM – SAINT-MALO (Ille-et-Vilaine) – POINTE-A-PITRE (Guadeloupe)

Départ le 4 NOVEMBRE 2018 à 14 heures

 

Un anniversaire : 40 ans. Depuis 1978, la Course du Rhum fait rêver et l’imaginaire allié à la réalité ne cessent de promouvoir l’émerveillement pour une performance unique. Cette année,123 navigateurs solitaires professionnels et amateurs vont quitter la Cité Corsaire pour atteindre, dans cette course transatlantique, les côtes de Guadeloupe. Voiliers monocoques, multicoques, petits coursiers et géants des mers vont se mesurer sur un océan menant de la France métropolitaine à la France d’Outremer.

La bouée du Cap Fréhel sera passée, le dimanche 4 novembre 2018. Rappelons que le vainqueur de la Course du Rhum de 2014, Loïc Peyron a bouclé le parcours de 3 542 milles en 7 jours 15 heurs 8 minutes 32 secondes ; plus de deux millions de visiteurs avaient à l’époque visité les « villages » des exposants de Saint-Malo et de Pointe-à-Pitre pour s’enivrer de ce Rhum magique… A partir du 10 novembre prochain, Pointe-à-Pitre devrait voir arriver ses premiers bateaux !

Le village installé sur les quais de Saint-Malo, depuis le quai Duguay-Trouin à la chaussée Eric Tabarly et la Gare Maritime de la Bourse, en passant par l’esplanade Saint-Vincent, vous attend de 10 h à 20 h jusqu’au 4 novembre 2018.

Bon vent !

routedurhum.com

 

La Course du Rhum fait songer à une autre course, beaucoup plus ancienne, certes, puisque celle-ci eut lieu, il y a 79 ans, en 1939, c’était  LA COURSE DES GRAINS. Son objectif était tout d’abord commercial, son itinéraire différent et ses conditions de navigation tout autres, mais l’esprit de compétition animait déjà les marins du quatre-mâts barque Moshulu, arrivé premier devant douze autres concurrents. Place à l’histoire de cette ultime course unique contée par Eric Newby.

 

TEMPETES EN MERS DU SUD d’Eric Newby (apprenti-marin), nrf Gallimard – Exploits, traduit de l’anglais par Robin Livio

 

En 1938, Eric Newby, alors âgé de 18 ans, amarre son rêve de devenir matelot au Moshulu (quatre-mâts barque carré en acier, construit à Port-Glasgow en 1904, de 5 300 tonnes en lourd, avec une jauge brute de 3 116 t et 2 990 t de jauge nette), pour la dernière Course de grains d’Australie (blés et orges), à l’aller jusqu’à 120 jours de mer par le cap de Bonne-Espérance et, au retour, 140 jours de mer par le cap Horn.

Les grains étant peu périssables, les chargements se faisaient en toute saison. La flotte, à laquelle appartenait le Moshulu, était la plus grosse flotte de « greniers flottants à voile du monde », plus prompts à charger que les steamers. Le matelot, après avoir reçu signé son contrat, devait se pourvoir d’une garde-robe de  marin constituée d’une vareuse de drap-pilote, un pantalon épais, deux complets de travail, des sous-vêtements assez chauds, une flanelle de corps, une chemise, un gilet, un pantalon épais, des bottes imperméables, des chaussettes qui vont avec ces bottes, un bon ciré ample, des pantalons de même matière, un suroît bien huilé, un canif, un crochet et une paillasse. Il fallait y ajouter un sac ce couchage en peau de caribou qui séchait les vêtements trempés en quelques heures. La coque du Moshulu et ses quatre mâts faisaient impression, les mâts de misaine, le grand mât avant, celui arrière et le mât d’artimon.

Le voilier appareille le 18 octobre 1938 à destination de Port-Lincoln en Australie du Sud avec 28 hommes d’équipage, veillés par le capitaine et le second. Au départ de Belfast, il fallait embarquer du lest et l’arrimer pour la traversée vers l’Australie (c’étaient du sable, des blocs de granit et des gravats). Le maître-voilier Sömmarström enseigna au matelot Newby tout ce qu’il devait connaître du bateau, des outils à la manœuvre, et la plupart du temps en suédois… et de plus les voiles carrées n’étaient pas du tout carrées mais découpées selon une sorte de feston, qui avait pour nom échancrure...

L’aventure, la vraie, commence lorsque le jeune matelot dut grimper dans la mâture pour la première fois de sa vie, car le Moshulu était le plus grand voilier en service, avec ses soixante mètres au-dessus de la quille, les haubans du mât étaient cordés de gros fil d’acier. A partir de la sixième enfléchure, ou marchepied, les barres en bois se rétrécissaient, juste pour poser un pied. J’atteignais la grand-vergue avec difficulté. Au-dessus de la hune (plate-forme en saillie), la mer dansait tellement  plus bas : la mer semblait monter vers moi ; il fallait atteindre la vergue de cacatois tout près de Dieu ! C’était la plus haute de toutes. Sur le quai, les hommes ressemblaient à des insectes. Le voilier pouvait contenir 5 000 tonnes de grains, il mesurait 107 mètres à la ligne de flottaison. Toutes voiles établies, il emportait pas loin de ses quarante-cinq mille pieds carrés de toile.

 

Il fallait placer l’avant du navire en plein vent. Nous, les bâbordais, sur le pont principal, nous brassions aux treuils ; le second veillait à ce qu’on lovât les bras des vergues sous le vent boucle après boucle ; la bordée de tribord s’affairait aux bras des grands mâts arrière et d’artimon.  Le voilier poursuivait son histoire, le monde extérieur avait fini par perdre, pour nous, toute consistance. La mer était aussi pâle en-dessous que le ciel au-dessus. Le Moshulu venait de doubler le sud de l’Afrique et l’alizé du sud-est se transforma en un vent froid et humide. Lorsque la houle se fit menaçante, le marchepied du côté du vent glissait en diable, et la voile n’était qu’une chose mouillée et lunatique. Pour tenir la route, il fallait du cœur au ventre car les lames étaient monstrueuses. Là-haut, les vergues arrachées à leurs suspentes déchiraient à belles dents la voilure, dans un boucan d’enfer. Le calme revenu, Noël fut fêté avec de la viande, du pâté, du singe, des pommes de terre rissolées, des abricots, du pudding au gingembre, de l’akvavit ; pour clore la fête, chacun reçut du capitaine son petit cadeau. Cependant la mer n’offrait pas de répit : les lames partaient à l’assaut du navire, tantôt le soulevant, tantôt ouvrant sous l’étrave des gouffres, comme de métal en fusion, sauf à l’étambot, où le gouvernail fendait l’onde bouillonnante, en un jaillissement, vert jade, de source. Le roulis mélangeait tout, les seaux et les meubles. La mer sembla perdre de son agitation à l’approche de Port-Lincoln où l’arrivée fut notée le 8 janvier 1939.

Le 11 mars, le Moshulu était prêt à repartir de Port Lincoln avec 59 000 sacs de grains. Ce serait la dernière course du grenier flottant. Le mauvais temps avait repris son désespoir pour ce retour de la course, ce qui avait incité le capitaine à distribuer du rhum. La houle giclait en gerbes d’embruns jusque par-dessus les pavois près des bras d’artimon et déferlait sur le pont en longues traînées d’écume. C’est à ce moment que les dégâts augmentèrent sur le navire, le bateau s’inclinait à bâbord, comme pliant le genou devant la vague. L’étrave creusait un sillon profond comme le soc d’une charrue. A l’est de la Nouvelle-Zélande, à l’ouest de la Patagonie, la tempête faisait rage, après quoi l’on sent qu’il n’y a plus que la mort ou la rémission. Le 4 avril le cap Horn était en vue. Après Pâques, le Moshulu  filait dix nœuds.  Ensuite ce fut le retour des lames passant par-dessus bord et un calme relatif voulut bien s’installer pour le retour vers nos terres. Le rocher de Fastnet (sud-ouest de l’Irlande) semblait arriver à notre rencontre, alors que le vent appauvri avait moins de force. Puis les falaises se dessinèrent. Le soleil se noyait dans une mer écaillée d’or… brasiers, châteaux-forts, chapelles composaient un décor hors du monde, des temps.

Après 91 jours de mer, le Moshulu touche au port, le premier, remportant ainsi la dernière course de ceux qu’on appelait les greniers flottants. Moshuolu, le gagnant, entra au mouillage sous deux huniers, deux voiles d’étai et son petit foc. C’est le 10 juin 1939 que le navire atteignit Queenstown au sud de l’Irlande.

 

Après sa dernière course en mer du sud, le Moshulu, les mâts et vergues sont détruits au cours d’un bombardement lors de la Seconde Guerre mondiale. Arrivé à Stockholm en 1948, il sert de magasin à blé jusqu’en 1952, puis il servira de cargo et de voilier-école. Actuellement, il sert de restaurant flottant à Philadelphie, aux U.S.A.

 

La Rédactrice en chef

Publié dans N° 359 - 4e Tri 2018

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