EDITORIAL de Christian GREGOIRE

Publié le par Le Syndicat des journalistes et écrivains

 

Quand cela s’arrêtera-t-il ?

 

Plus ! Nous voulons toujours plus ! Car la société dans laquelle nous évoluons, quelquefois malgré nous, nous incite à vouloir toujours plus. Dans ce que nous sommes tout en cherchant à nous améliorer dans nos performances, à nous optimiser comme l’on dit en langage marketing ; mais aussi dans ce que nous consommons, car là est bien toute la finalité de ce système qui nous pousse à vouloir toujours plus, à acheter toujours plus, et par conséquent à produire toujours plus. Les économistes appellent cela le cercle vertueux de la croissance. Mais jusqu’au pouvons-nous aller dans cette perpétuelle quête de perfectionnisme économique et technologique sans que nous en arrivions un jour par nous perdre dans une irrésistible fuite en avant ? D’autant que  nous consommons aussi sous la contrainte. Celle des constructeurs et des industriels qui programment l’obsolescence de leurs produits, celle des marchés et des institutions financières qui organisent l’offre et la demande, celle de la publicité qui nous fait comprendre que nous ne sommes pas toujours à la page, pas toujours à la mode, et qu’il convient de suivre  au plus près toutes les nouvelles tendances, dans tous les domaines, pour véritablement coller à notre époque. Sans compter les injonctions des réseaux sociaux dont  on prétend, évidemment par rapport aux intérêts qui y sont liés, que ce sont eux désormais qui font l’opinion.  Et tout cela se fait, le plus souvent, sous les auspices démocratiques, et sur fond de considérations politiques, avec pour objectif  le seul profit de quelques-uns vissés aux fauteuils des conseils d’administration des multinationales, et aux dépens de tous les autres. Avec essentiellement une vision de court terme. Mais surtout au détriment de toutes les conséquences que ces doctrines provoquent, notamment en matière d’environnement. Conséquences que l’on peut aisément mesurer si l’on prend la peine de faire un peu de prospective, et de voir au-delà de notre propre horizon.

Ainsi s’aperçoit-on d’une explosion démographique dans certaines régions du globe et, en corollaire, on évalue les effets concernant la destruction de l’environnement. C’est que tous les spécialistes affirment que, précisant que, avec cet accroissement de la population, si l’on continue sur ce rythme effréné de consommation de matières premières,  ce n’est rien de moins que l’humanité qui pourrait être en péril. Mais rien n’y fait. L’appât du gain reste toujours plus fort que la raison et même que la survie. Car évidemment, toutes les structures industrielles, économiques et financières suivent les choses au plus près ; plus la démographie s’emballe, et plus l’offre se fait importante.
Il faut aller conquérir de nouveaux marchés, quitte à changer les habitudes millénaires de populations autochtones auxquelles on prétend apporter le progrès sans pour cela les rendre les plus heureuses. Il faut occidentaliser le monde pour fourguer des produits. Et tant pis pour le reste. Parce qu’on considère qu’il y a de la demande, et parce qu’on n’a pas encore complètement raclé la Terre de tout ce qu’elle peut donner, on continue de la piller. Tant pis pour l’écologie. Tant pis pour la biodiversité et le biosystème.

Bien sûr, on peut toujours arguer que rien n’est inéluctable, et qu’il existe désormais une véritable prise de conscience citoyenne. Bien sûr, on peut aussi se féliciter des petits gestes quotidiens que les uns et les autres nous décidons de faire pour notre planète, mais il est à craindre que tous ceux-ci restent vains si les Etats persistent dans leur discours d’une croissance considérée comme l’alpha et l’oméga de toutes les politiques publiques.
On continue d’ouvrir des mines, notamment des mines de schiste dont la fracturation fragilise les terrains, on poursuit l’utilisation des matières carbonées, on s’accroche aux hydrocarbures, on promeut le nucléaire ; partout on surproduit, en ayant recours à la chimie, on défend le phytosanitaire, on érode et on use les sols, en privilégiant la culture intensive. Les océans sont pollués,  et le ciel recèle tous les gaz à effets de serre que nous produisons et que crachent nos moteurs et nos cheminées. Le réchauffement climatique nous menace, comme il menace la faune et la flore, et entraînera avec lui, de nouvelles formes de migrations, celles de la faim. Mais les Etats ne voient rien, ou ne veulent rien voir, car ils sont obnubilés par leurs résultats économiques et seul compte l’instant présent.

Si, en tant que citoyens, au-delà de nos convictions propres et de nos petites contributions, nous voulons vraiment jouer un rôle actif pour encourager la préservation de notre planète, et assurer un avenir à nos descendants, nous pouvons aussi le faire en pesant sur tous les décideurs politiques et en écartant ceux qui n’ont pas conscience des dangers qui nous menacent, en bannissant les entreprises qui ne respectent pas les moindres règles d’éthique en matière d’écologie comme en matière sociale (cela va de pair), et nous pouvons surtout réfléchir sur le lien évident qui existe entre le libéralisme exacerbé de nos sociétés mondialisées et les atteintes à l’environnement.

« Ce qui caractérise notre époque, c’est la perfection des moyens, et la confusion des fins » disait Albert Einstein. Les choses n’ont pas changé. Nous ne cessons d’utiliser des moyens de plus en plus perfectionnés, de plus en plus sophistiqués, et de plus en plus puissants dans l’efficacité, mais pour en arriver à quel type de pragmatisme, à quel résultat ? Au fond, nous ne savons pas où cela va s’arrêter, et plus grave encore peut-être, nous ne savons pas où nous allons. Les rapports des experts sont gardés sous le coude, leurs recommandations le plus souvent remises à plus tard. Certains se fichent ouvertement de ces questions-là ; quant au semblant de bonne volonté que les uns et les autres peuvent afficher, il aboutit à des décisions jamais appliquées ou à des textes qui ne sont jamais suivis d’effets, et personne n’est capable de dire la vérité sur la responsabilité des hommes, qui se croient au-dessus de la nature, dans ce dérèglement que nous connaissons. Personne non plus n’a le courage de prendre enfin toutes les mesures nécessaires permettant de freiner tant qu’il est encore temps nos modèles et nos comportements néfastes pour arriver à stopper cette embardée de l’humanité juste au bord de l’abîme. 

Christian GREGOIRE
 

Publié dans N° 359 - 4e Tri 2018

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :