EDITORIAL de Christian GREGOIRE

Publié le par Le Syndicat des journalistes et écrivains

QUAND L'HOMME VEUT DICTER LA LOI DE LA PLUIE

 

Sait-on ce que pourraient penser les dieux, s'ils existent, quels qu'ils soient et où qu'ils soient, devant l'incorrigible vanité des hommes qui s'approprient à leur tour les éléments et pensent même pouvoir les dompter et les manipuler à leur guise, en fonction de leur petits intérêts tellement temporels, de leurs petites  mesquineries matérielles, et ceci en dépit des tous les dangers existentiels.

 

Outre les caprices de la météorologie qui en disent long sur la réalité d'un changement climatique aux conséquences parfois terribles, tant sur le plan des victimes que sur celui de l'équilibre de la nature et de la biodiversité, ce sont les manières absurdes et inconséquentes de vouloir influer sur le temps qui peuvent interroger sur la folie humaine. Ainsi, les inondations dantesques qui ont touché Dubaï et plusieurs autres pays du Golfe, des régions habituellement épargnées par ce genre de cataclysme, ont mis en évidence des pratiques, aussitôt l'objet de rumeurs et de complotisme, qui sont pourtant réelles et qui ne manquent pas de poser des questions. Ainsi, une théorie pointe le rôle de la géo-ingénierie dans ces inondations : ces pluies torrentielles seraient dues à une opération qui aurait mal tourné. Les Émirats arabes unis auraient voulu faire pleuvoir artificiellement à l’aide d’une technique d’ensemencement des nuages par avion, et l’opération ne se serait pas passée comme prévu.

L’ensemencement des nuages est une technique assez simple, en réalité, qui consiste à répandre dans les nuages différentes substances, comme de l'iodure d'argent ou des cristaux de sel, pour déclencher des précipitations. C’est une technique communément utilisée pour lutter contre les sécheresses, par exemple. Vouloir maîtriser les nuages et la pluie relève d'une aberration que beaucoup considèrent pourtant comme une avancée scientifique, et même s'il paraît  improbable qu’un ensemencement de nuages ait pu, à lui seul, déclencher de telles pluies, il faut analyser ce phénomène, qui n'était pas prévu à cette échelle par les modèles météo, en regard du changement climatique, puisqu’une atmosphère plus chaude est également plus humide : pour chaque degré de température supplémentaire, la teneur en eau de l’atmosphère augmente de 7 %.

 

La polémique vient d’abord du fait que ces inondations sont très inhabituelles à Dubaï, et aussi du fait que les Émirats Arabes Unis ont régulièrement recours à cette technique, depuis une vingtaine d’années. Mais ce ne sont pas les seuls, de très nombreux pays s’y adonnent aussi, pour lutter contre les sécheresses, ou simplement pour faire pleuvoir avant des grands événements. C’est assez basique, il s’agit simplement de déclencher une réaction chimique. Il y a d’autres techniques encore plus avancées : on appelle donc ça la géo-ingénierie, c’est-à-dire la manipulation artificielle du climat. On distingue généralement deux types de techniques : celles-qui visent à capturer le dioxyde de carbone qui est contenu dans l’atmosphère, et celles qui visent à modifier le rayonnement solaire, c’est-à-dire à réduire la quantité de rayonnement solaire absorbée par la Terre. Parmi tous les projets encore en ferments dans les cerveaux des experts, certains sont proches de la science-fiction, et à ce titre très inquiétants, et fort heureusement assez controversés. Par exemple, fertiliser artificiellement les océans, injecter des aérosols dans la stratosphère, comme des particules de soufre, ou même carrément installer des miroirs dans l’espace.

Pour le moment il n’y aucun cadre réglementaire, et donc ça veut dire que c’est autorisé. Ce qui existe simplement, c’est une réflexion en cours au sein de la Commission sur le dépassement climatique, une commission de haut-niveau mise en place au sein du Forum de Paris pour la Paix. Mais pour l’heure, n’importe qui peut y avoir recours, littéralement, y compris des individus privés.

Cela pose évidemment de très lourdes questions : sur la maturité des technologies et le contrôle de leurs effets secondaires, et puis aussi bien entendu des questions de sécurité. Une note récente de l’Observatoire Climat et Défense pointait le risque que ces technologies ne soient utilisées à des fins hostiles, ou ne donnent lieu à des désaccords sur leurs modalités de déploiement. Il y a aussi le risque que ces techniques ne soient utilisées comme un prétexte pour ne pas réduire nos émissions.

Certains diront qu’on s’improvise démiurges, et que c’est une ligne rouge indépassable. D’autres, au contraire, diront que le changement climatique en lui-même est déjà une manipulation artificielle du climat, et que la géo-ingénierie est un moindre mal.  Chacun se fera son idée en mesurant les effets.

Après avoir pollué la terre, sali les rivières, asphyxié les océans, colonisé les plages, dégradé les montagnes, abîmé les campagne et satellisé le ciel à outrance, voilà que l'homme veut maintenant dicter la loi de la pluie. 
Certains parleront du progrès. D'autres, plus lucides, estimeront qu'on ne peut pas hypothéquer l'avenir du monde pour de simples arrangements techniques, pour décider d'avoir de l'eau quand on en a envie et à conditions que cela ne dérange personne. Mais, on l'a vu à maintes occasions, le ciel ne se laisse pas faire. En tout état de cause, toutes les fortunes, toutes les richesses thésaurisées, tous les intérêts égoïstes ne deviendront plus que de vieux souvenirs sans valeur,  lorsque la Terre aura décidé que les hommes, suffisants d'orgueil et de cupidité,  ont assez joué. Ils se seront détruits tout seuls, alors, elles les éradiquera. Et la nature, qui a horreur du vide, pourra se reconstruire. Elle mettra du temps mais elle renaîtra. Elle aura effacé l'humanité de sa mémoire. Et même les dieux, s'ils existent, ne pourront plus rien pour elle.

Christian GREGOIRE

Publié dans 381 - 2e Tri 2024

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