EDITORIAL de Christian GREGOIRE

Publié le par Le Syndicat des journalistes et écrivains

LE MONDE DE L’INTERIEUR

Un rapport récemment publié par le Conseil de l'Europe est passé presque inaperçu, et pourtant il met en lumière pour la énième fois un sujet dont les autorités veulent d'autant moins parler qu'il ne s'agit pas d'un sujet très populaire, au sens littéral du mot, et qu'elles ne savent pas comment le traiter dans un monde obnubilé par des positions sécuritaires où rien ne doit être laissé au hasard. Il est en effet question des prisons françaises, de leur état, de la surpopulation carcérale et des manquements de l'administration pénitentiaire.

Selon ce rapport, portant sur les statistiques de l'année 2012, le nombre de prisonniers en France a augmenté de 26 % en dix ans, et les prisons sont surpeuplées : 117 détenus pour 100 places. Du côté des autorités, on balaie ces chiffres d'un revers de la main en montrant que la plupart des pays d'Europe sont dans le même cas. Comme si cela devait être un argument servant à justifier l'impéritie de l'Etat en la matière et plusieurs décennies d'une politique carcérale totalement inadaptée.

Car au lieu d'envisager des alternatives à l'enfermement, de débattre des perspectives de réinsertion, d'assurer un suivi permanent médical et psychologique des détenus, on affirme timidement prendre conscience de la surpopulation et de l'insalubrité de certains établissements. Et l'on promet que l'on va répondre à ces problématiques en lançant un programme de construction de nouvelles prisons.

Alors que la réflexion politique en la matière devrait porter sur la notion même de réparation et d'enfermement, sur la raison d'être des structures carcérales dans certains cas, sur la remise à plat du code de procédure pénale qui a durci certaines peines, sur la révision de législation sur les stupéfiants -qui fait qu'il ya derrière les barreaux une majorité de gens qui n'ont rien à y faire- sur la façon d'envisager une autre solution que la prison pour des infractions qui ne s'inscrivent pas dans une logique délictuelle, sur le traitement et le suivi des détenus présentant des troubles psychiques graves et dont la place est davantage en hôpitaux psychiatriques qu'en prison (ils représentaient 42 % de la population carcérale en 2013), au lieu d'aborder pleinement et franchement la question de la place de la prison dans l'institution judiciaire et plus globalement comme réponse aux maux de la société, les politiciens et les autorités répondent par une proposition immobilière !

Si ce n'est pas du cynisme, c'est du moins une fin de non-recevoir à ceux qui se battent au quotidien pour rendre aux lieux d'incarcération un peu d'humanité, et qui demandent que l'on réfléchisse au sens même de l'enfermement. On préfère claquer les portes et les verrous sur une réalité qui dérange, bien qu'elle n'émeuve guère l'opinion publique.

C'est que, évidemment, les adeptes de la punition, les gardes-chiourmes de la morale, les tenants de la fameuse tolérance zéro, tous ces chevaliers blancs prompts à enfourcher les chevaux de la Justice en cherchant à rallier les « braves gens » à leur panache, tous ceux qui montrent du doigt les petits délinquants ou les détraqués récidivistes, - en omettant de préciser que les vrais réseaux criminels évoluant dans des cercles autrement plus vicieux et dangereux ne sont que peu souvent inquiétés du fait de leurs accointances avec les pouvoirs économiques, politiques et financiers - savent que, pour qu'une société se concentre sur son nombril et demeure docile face aux puissants, elle a besoin d'ennemis; et si possible d'ennemis caractéristiques que l'on puisse reconnaître et désigner.

L'ennemi c'est l'autre. Et c'est bien pour cela que la question intéresse si peu tous ceux qui estiment que la condition faite aux prisonniers ressort finalement d'un système qui ne les regarde pas, un monde de l'intérieur dont ils ne sont pas, et ils ajoutent que ceux qui le subissent l'ont bien cherché.

Certains le disent même de bonne foi. Après cela, pour ce qui les concerne eux, ils prétendent et affirment qu'ils n'ont rien à se reprocher donc rien à craindre. Et c'est là que l'on s'aperçoit que ce n'est en fait qu'une posture.

Qui peut garantir qu'il n'aura jamais affaire à la justice, et qu'il n'en encourra jamais ses foudres avec le risque de connaître l'incarcération ? Les faits divers sont pleins de ces vies qui basculent.
Un enfant renversé par un automobiliste, un conflit banal qui tourne en rixe, une bousculade, un accident du travail... Sans compter le brave salarié devenu chômeur contraint un jour de voler du pain pour nourrir sa famille. Le Jean Valjean du XXIe siècle. Et oui, hélas, cela existe.

Personne ne peut savoir si, un jour, lui-même ou un de ses proches ne sera pas confronté à l'ombre noire d'une maison d'arrêt, à la recherche d'un peu de lumière de l'âme, voué au désespoir et à la promiscuité, cloué au pilori de la société des bien-pensants, rattrapé par sa propre stupidité, celle d'avoir cru les grands discours sur le bien et le mal, et d'avoir défendu cet idéal manichéen.

Il y a deux siècles, Emile Zola dénonçait déjà les conditions de détention de tous les prisonniers, qu'ils fussent de droit commun ou politiques. Sans que le peuple ne réagisse vraiment pour faire changer les choses, alors que plus que tout autre catégorie sociale, les pauvres étaient bien sûr les cibles privilégiées lorsque tombaient les bois de justice.

Aujourd'hui, les moyens de communication sont autrement plus nombreux, plus réactifs et plus performants, et il semble donc plus aisé d'informer, d'alerter et d'interpeller sur ce sujet des prisons. Mais comme autrefois, les populations restent sourdes et inertes, les individus pas concernés.

Jusqu'au jour où ils sont à leur tour happés par la réalité à travers un cas très personnel. Leurs certitudes volent alors en éclats en découvrant que la prison, dont on dit que le but premier est de punir par l'enfermement avant la réinsertion, n'est au fond qu'un lieu de non-droit, de souffrances, de violences et d'abus, où la personne en tant que telle est niée puisqu'elle est devenue matricule, et que l'après-prison est bien mal préparé par manque de moyens peut-être, mais aussi par manque de volonté, et surtout par refus de considérer et vouloir prendre en compte qu'un détenu libéré n'est plus un détenu. Sauf à considérer que la peine comme exigence de réparation soit éternelle.

Puisque la société considère que la prison doit continuer à s'inscrire parmi les modes de cette réparation, au moins que celle-ci ne soit pas la seule vérité en matière de réponse pénale tout simplement parce qu'une certaine volonté populiste l'exige. Que cette société n'élude pas la question de l'environnement carcéral. Et surtout que la Justice, considérée comme une institution représentant la norme, et dont la responsabilité républicaine implique des devoirs, fasse respecter dans les prisons aussi toutes les valeurs du Droit qu'elle est censée défendre et incarner.

Il n'est nulle part écrit qu'un homme, en plus d'être privé de sa liberté, doive aussi perdre sa dignité.

Publié dans N° 342

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