EDITORIAL de Christian Grégoire

Publié le par Le Syndicat des journalistes et écrivains

La bourse ou la vie

Si l'on en croit les médias, où des experts de tout poil viennent se répandre en formules convenues et porter la bonne parole, sans qu'aucun intervenant ne soit invité à leur opposer quelque objection, puisque l'on est dans une société où les puissants cherchent le consensus pour asséner leurs propres vérités, dans ce discours lisse donc, transparaît de plus en plus, parmi précisément celles qui sont énoncées et qu'il n'est pas permis de remettre en cause, celle que l'intelligentsia considère comme la vérité première : tout ne serait donc aujourd'hui qu'économie.

Tout est à vendre et tout s'achète. Tout n'est plus que parts de marchés, compétitivité, échanges commerciaux, investissement, développement, business plan... Plus rien ne peut être pensé, conçu, exprimé sans que cela ne soit fait au regard d'une quelconque rentabilité. Dans le mécanisme économique mondialisé, les financiers veulent faire feu de tout bois. Sans scrupules ni états d'âme, sans voir plus loin que le bout de leur petit monde de nantis, mais avec beaucoup de cynisme, ils s'attaquent à tous les domaines. Ils sont d'un pragmatisme glacé et n'ont en fait qu'un seul rêve : que l'acte gratuit devienne révolu.

Ils passent l'essentiel de leur temps et de leur énergie non pas à construire un monde meilleur comme ils auraient pourtant les moyens de le faire, mais plutôt à détruire celui dans lequel ils sont et surtout à pourchasser ceux qui veulent les en empêcher.

Ainsi, ceux qui s'opposent au développement de l'énergie nucléaire, qui refusent l'exploitation des gaz de schiste, qui s'insurgent contre les constructions pharaonesques d'infrastructures inutiles, qui dénoncent les pollutions de toute nature, qui interpellent sur les dangers de la pharmacopée et de la production agricole intensive, qui manifestent contre les décharges industrielles à ciel ouvert, par exemple, ou qui s'élèvent contre les conditions de travail des ouvriers exploités par les multinationales dans les pays pauvres, tous ces opposants-là sont considérés comme refusant le progrès et entravant le développement économique.

Qu'importe le fondement même de leurs oppositions, puisque leurs arguments ne sont pas écoutés et qu'on ne veut ni les admettre ni en débattre. Seul compte ce qui se trame matériellement autour de tout ce que l'on réalise, de ce qui est déjà fait et de ce qui n'en encore qu'à l'état de projet.

Derrière tout cela, il y a évidemment beaucoup d'argent et beaucoup d'intérêts. Et ces intérêts-là sont bien plus importants aux yeux des financiers et des industriels que l'intérêt même de la planète et de l'humanité. Certains préfèrent la bourse, d'autres aiment mieux la vie.

Les exemples pourtant ne manquent pas, celui de Fukushima étant le dernier en date parmi les plus marquants. Tous les jours on porte atteinte au monde et à l'intégrité de l'environnement pour des raisons bassement mercantiles, au nom du rendement et de la fameuse compétitivité.

Pourtant, quand la Terre ne sera devenue qu'un nuage de fumée, qu'une étoile éteinte enroulée dans son panache gris, un souvenir spatial, une chimère, ceux qui magnifient leur puissance se retrouveront alors, justement, totalement impuissants, minables, évaporés.

L'or des coffres-forts aura fondu sous la fusion d'un grand soleil déréglé dont l'explosion aura puni la vanité et l'orgueil des hommes.

Publié dans N° 340

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