EDITORIAL de Christian GREGOIRE

Publié le par Le Syndicat des journalistes et écrivains

 

LE CHEMIN VERT

 

La vague verte qui a déferlé sur la majorité des grandes villes de France lors des dernières élections municipales, a conforté l’intérêt porté par le peuple pour les questions d’environnement. Cet intérêt s’inscrivant dans ce contexte très particulier de celui d’une pandémie qui a stoppé la marche du monde, mais qui a surtout mis en évidence les effets délétères et particulièrement dangereux d’une mondialisation à outrance, et d’un libre-échange sauvage, sans contrôle ni morale.

Ces résultats, qui interviennent un an après que les écologistes ont déjà marqué les esprits aux élections européennes, pourraient être le signe d’une prise de conscience, qui dépasse d’ailleurs les frontières de l’hexagone et celles de l’Europe, sur la nécessité de revenir à des politiques de territoires, et de préservation d’une planète dont on pille de plus en plus les ressources sans lui laisser le temps de se régénérer. Car la nature évolue sur le temps long, alors que les hommes, les marchés et les capitaux, sont dans le rendement immédiat. Il faut produire vite, il faut produire plus, et le moins cher possible, avec l’idée d’inonder la planète de produits manufacturés, imposés par le marketing, mais dont la majorité des consommateurs pourrait pourtant se passer.
Le signal du vote écologiste est celui d’individus qui voudraient stopper cette folie dérégulée.
Mais le vrai débat, autour d’une idée générale que chacun tente de récupérer dans son camp, consiste à savoir quelle nature donner à l’écologie politique, à partir du moment où, selon un réflexe électoraliste vieux comme la démocratie, on souhaite en faire l’un des thèmes principaux des prochains projets.
Cette question du positionnement politique est essentielle, notamment par rapport à la doxa libérale de l’Union européenne, qui multiplie les accords de libéralisation commerciale avec d’autres régions du monde.
Car le libéralisme tel qu’il existe n’est pas compatible avec la protection de l’environnement, et la lutte des opinions ‘annonce explosive. 

C’est que les tenants du marché, purs et durs libre-échangistes, ont toujours vu dans les démarches visant à protéger l’environnement au sens large, des mesures anti-business, et dans les Verts de tous horizons de empêcheurs de prospérer en rond. Balayant d’un revers de main et de mépris ce qu’il considère comme relevant de « l’écologie punitive ». Ainsi, en 2003, le théoricien libéral Milton Frydman déclarait : « L’environnement est un problème largement surestimé… Nous polluons dès lors que nous respirons. On ne va pas fermer les usines sous prétexte d’éliminer tous les rejets d’oxyde de carbone dans l’atmosphère ». Ceux qui devront mourir du cancer ou de troubles respiratoires seront contents de savoir qu’ils auront avant cela le bonheur de pouvoir travailler justement dans ces usines, et de contribuer à la grande foire à la consommation.
Et les libéraux ne désarment pas reprenant à leur compte les propos du Prix Nobel d’économie Gary Backer qui affirmait, avec sérieux, « Le droit du travail et la protection de l’environnement sont devenus  excessifs dans la plupart des pays développés. Le renforcement du libre –échange va réprimer ces excès en obligeant chacun à rester concurrentiel face aux importants des pays en développement ».   

Les défenseurs du système tel qu’il est n’ont aucunement envie de le voir changer. Mais les responsables politiques doivent toutefois s’adapter à l’air du temps, sous la pression des électeurs et à travers eux, de tous ceux qui défendent un nouveau modèle. On a ainsi réhabilité le terme longtemps honni de « protectionnisme » qui vise simplement à vivre au plus près de chez soi. Ce qui ne signifie pas une négation du reste du monde, mais simplement ne plus être soumis aux exigences industrielles et économiques des autres pays pour ce qui concerne par exemple l’alimentation et la santé.

L’ancien monde, qui vient des origines, se fondait dans le grand élan de croissance industrielle et économique des nations qui ont  refusé de voir l’empreinte précisément de cette industrialisation à outrance sur l’environnement et son évolution, les populations confrontées aux conséquences des pollutions et aux multiples atteintes portées à leur univers proche, se sont, elles, manifestées et mobilisées au fil du temps.

C’est bien la prise de conscience la plus globale de la rupture entre l’homme et son milieu naturel, rupture induite par la civilisation industrielle, qui a forgé l’écologisme.    

Car la société moderne qu’on leur vendait passait par un nouveau consumérisme, et par une expansion industrielle, laquelle s’appropriait les innovations technologiques. A la fois par une logique productiviste qui empêche de respecter les ressources naturelles  de la planète, celles-ci ne pouvant se reconstituer aussi vite que ce qu’elles sont détruites, mais aussi par la volonté d’influer sur cette production par l’apport de la chimie, mais aussi de la technologie ne privilégiant que la rentabilité.

Alors que l’on a longtemps considéré que nous étions dans une organisation humaine appuyée sur des valeurs fondamentales, qui formaient  les invariants constitutifs en chacun de nous, le simple plaisir d’être en vie, d’exister, le rapport sensuel que nous tissons avec le monde, et celui que nous entretenons avec la nature, nous sommes entrés depuis quelques décennies dans une spirale de rupture de l’équilibre qui avait jusqu’alors prévalu. Car si l’Homme  a toujours cherché à maîtriser la nature, voire à la dominer, il est arrivé aujourd’hui à ne plus pouvoir stopper cette spirale et à se laisser entraîner sans être capable, par ignorance, lâcheté, ou indifférence, d’au moins tenter de ralentir ce mouvement de destruction à défaut de pouvoir totalement, du moins dans un premier temps, renverser le processus.

Cela nous ramène au philosophe Epictète (50-135 après J.-C) et la question posée dans son Manuel : Qu’est-ce qui dépend de toi ? « L’homme, disait-il, ne peut trouver le bonheur qu’en s’attachant à ce qu’il maîtrise, et en laissant de côté le reste ». Mais le Sage du Manuel, se savait plus ou moins seul, dans une nature dont il n’avait pas vraiment à se soucier.  Dans notre monde actuel, où la plupart des décisions sont prises ailleurs, hors de nous, dans des cercles dont ne faisons pas partie, nous ne faisons qu’appliquer ce principe, et nous avons tendance à ne pas nous préoccuper de ce sur quoi nous n’avons pas d’emprise.

Nous pouvons cependant participer à l’amélioration de notre réflexion, car désormais peu de choses peuvent nous échapper dont on n’estimerait ni n’évaluerait pas les effets. Nous savons que certaines actions peuvent avoir un impact, même sur ce qui est lointain. Puisque tout est lié désormais. On ne peut plus, raisonnablement, se tenir à l’écart.  Impossible par exemple de délocaliser nos industries polluantes et de faire comme si nous ne souciions pas de ce que cela peut avoir comme conséquences.

L’homme exploite, use et dilapide tout ce qui est naturel à partir du moment où il considère que tout est exploitable –puisque selon lui, de toute façon, tout se reconstitue- et donc que tout est à vendre. En l’état ou transformé. De fait, il vend tout, y compris les déchets qu’il  produit dans des opérations de recyclage. Mais il y a des poisons qu’on ne peut pas faire disparaître et que l’on vend pourtant… Evidemment, nous le savons, les Etats, sous le poids des lobbies économiques, industriels et agricoles, favorisent les énormes systèmes d’agriculture et tous les excès qui vont avec, notamment en matière chimique, au détriment de la qualité et de la sécurité sanitaire et alimentaire. Alors qui si nous décidions de favoriser l’agro-écologie qui porte en elle le salut d’une terre pillée depuis si longtemps, si nous étions capables de retourner à une agriculture raisonnée, nous ferions d’énormes progrès dans ce domaine. Ce n’est qu’une proposition parmi beaucoup d’autres qui pourraient simplement  être dictées par le bons sens.

Mais il  ne sera pas possible de vraiment réformer les sociétés et leurs mauvaises habitudes consuméristes, si l’individu ne change pas. Si l’on ne se décide pas à faire le point sur nos pratiques, notre consommation, sur ce que l’on mange, sur ce que l’on fait, sur ce que l’on produit…

La difficulté réside dont dans le fait de nous positionner comme prescripteurs de ce que nous voulons et d’inventer ce fameux monde d’après dont on nous a tant parlé et que tout le monde veut revendiquer. Mais il faut aller au-delà des mots et des intentions. Car chacun sait que l’éloge, devenu consensuel, des producteurs locaux, des circuits courts, du retraitement sur place des déchets, est incompatible avec un mode de production qui multiplie les « chaînes de valeur », c’est-à-dire organise la noria des porte-conteneurs sur lesquels les composants d’un même produit traverseront trois ou quatre fois le Pacifique avant d’arriver sur les rayons d’un magasin.

Verdir le monde est un noble objectif, qui consiste au fond tout simplement à préserver l’humanité. Il ne s’agit plus d’un numéro d’équilibrisme entre le commerce et l’environnement mais d’un chemin à prendre, pour croire en l’avenir. En ayant en tête que la nature nous fera toujours payer nos vilenies. Et cette phrase Claude Levi-Strauss « le monde a commencé sans l’homme, et il s’achèvera sans lui ».

Christian GREGOIRE
 

Publié dans N° 366 - 3e tri 2020

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