CINEMA de Christian GREGOIRE

Publié le par Le Syndicat des journalistes et écrivains

 

Mektoub my love, d’Abellatif Kechiche

On est en 1994, au bord de la mer à Sète, en plein été. Un groupe de filles et de garçons s’éclate à la plage, dans les bars, en boîte. Ils ont 20 ans et viennent d’un peu partout. Certains sont en vacances, d’autres travaillent dans le coin. Des couples se forment, se déforment, la jalousie s’insinue.  Parmi tous ceux-là, un garçon reste en retrait, malgré l’intérêt que lui témoigne la gente féminine.  On s’interroge sur Amin, si secret, qui écrit des scénarios, et regarde, seul,  des films, enfermé dans sa chambre  alors que le soleil brille dehors. L’homme enregistre tout ce qui passe autour de lui, il fantasme, et envie cette énergie qui jaillit chez ses ami(e)s. A travers la quête de ce personnage, le film livre une ode au bel âge, dans un joli tourbillon des sens.

Après la guerre, d’Annarita Zambrano

Marco, un Italien rattrapé par son passé terroriste, réfugié en France mais menacé d’extradition, doit à nouveau fuir et se cacher et entraîne avec lui sa fille 16 ans, née ici et qui n’a rien demandé. Ce film évoque subtilement les séquelles des années de plomb. L’engagement de Marco, et les effets collatéraux de celui-ci. Le poids du passé retombe, aussi, sur sa famille italienne bourgeoise, murée dans les non-dits. Les huis-clos familiaux sont pesants, et la cavale semble vouée à l’échec. Il sait qu’il a détruit la vie de ses proches, mais Marco,  même désormais désarmé, poursuit sa fuite en avant, quitte à sacrifier sa fille, qui se débat contre cette prédestination.

9 doigts, de Frédéric-Jacques Ossang

Le film s’ouvre sur l’image d’un homme qui court dans la nuit, et aussitôt, un univers abyssal s’ouvre à nous. Nommé Magloire, l’homme se retrouve sur un cargo, après un casse qui a mal tourné. Ses compagnons de voyage sont des malfrats irradiés, trafiquants de polonium. Ils ont mis le cap sur un hypothétique eldorado, vers les contours incertains de Nowhereland, le pays qui n’existe pas... Tourné en noir et blanc, ce mystérieux  film-trip  n’est pas dénué de grâce. Les personnages sont à la fois fantomatiques et fascinants, et parfois entourés d’une aura romantique  

Demons in Paradise, de Jude Ratman

Sri Lanka, juillet 1983. Trois mille civils de la minorité tamoule sont tués en quelques jours par des extrémistes à la solde du gouvernement pro-cinghalais. C’est le début d’une guerre civile qui ne s’achèvera que vingt-six ans et près de cent mille morts plus tard. Le réalisateur de ce documentaire avait 5 ans quand il échappa aux pogroms. Il raconte sa fuite à bord d’un train, sa terreur, sa honte de devoir se cacher.  Mais il dépasse l’évocation individuelle pour aborder aussi toutes les autres mémoires du conflit, dans les violences et les rivalités, en en appelant aux témoignages de différents camps, et en s ‘appuyant sur la puissance du souvenir.  

La mort de Staline, d’Armando Iannucci

Dans l’Union soviétique de Staline,  la peur était le fondement du pouvoir. Tout le monde, jusqu’au sommet de l’Etat, était sur le qui-vive. Maître de la satire politique Armando Iannucci  l’a bien compris : dans son récit de l’agonie du « Petit Père des Peuples » puis de la guerre de succession éclair qui s’en est suivi, l’angoisse des personnages est, à juste titre, permanente. Mais son intensité confine à l’absurde, et transforme tout en caricature, donc en farce. Tout paraît incroyable, or tout  est vrai. Au chevet de Staline, terrassé par une crise cardiaque, défile la garde rapprochée du bureau politique, chacun avec son passé, sa personnalité et ses ambitions. Débutent alors deux jours et deux nuits de tractations, de renversements d’alliances et de coups tordus entre les prétendants à la tête du pays.  Les rivalités sont exacerbées et même si la situation confine parfois au burlesque,  la comédie cruelle flirte aussi avec  la tragédie, dans ce jeu de massacre féroce.

Nul homme n’est une île, de Dominique Marchais  

Ce documentaire à l’esthétique originale met en lumière une poignée d’individus -paysans, artisans ou architectes- qui veulent lutter pour une société plus solidaire, plus écologique ; à travers l’Europe, il va à la rencontre de ceux  qui changent le monde à l’échelle de leur région ou de leur village : des citoyens qui veulent bien décider de leur vie.  Le bien commun est leur seul idéal. Ce film est un essai qui milite pour ne façon différente de penser. Partout le cinéaste montre superbement le paysage, le parcourt à un rythme lent qui lie contemplation et réflexion.  Un voyage étonnant et instructif.    

Publié dans N° 357 - 2e Tri 2018

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